Développement logiciel et Gouvernance

Posté le Wed 19 October 2016 dans opinion


"Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir"

—Montesquieu, De l'esprit des lois

Cette citation de Montesquieu parle bien sûr de politique et de la séparation de ses pouvoirs. Dans cet article, je vais décrire une approche qui me permet de faire rapidement l'audit d'une entreprise sur sa maturité en terme de test logiciel. Il m'a paru intéressant de rapprocher cette citation du domaine du développement logiciel. En essayant de déterminer quels sont les jeux de pouvoir qu'il peut exister au sein d'une entreprise qui développe des produits logiciels, on peut voir apparaître les forces et les lacunes qui conduisent à des dérives et des biais dans la construction d'un produit logiciel.

Les pouvoirs en présence

Les trois pouvoirs politiques définis par Montesquieu [1] sont :

  • Le pouvoir législatif
  • Le pouvoir exécutif
  • Le pouvoir judiciaire

Maintenant, transposons cette vision dans le domaine de l'industrie logicielle. On peut définir 3 pouvoirs qui gravitent autour d'un produit logiciel :

  • Le pouvoir de définir le produit : législatif
  • Le pouvoir de construire le produit : exécutif
  • Le pouvoir de contrôler l'état du produit : judiciaire

Pour illustrer cette notion, on peut par exemple rapprocher ces "pouvoirs" de différentes entités qu'il est commun de trouver dans l'industrie du logiciel :

  • La MOA [2] : entité chargée de définir le produit et de formuler les besoins des clients et du marché, qui a le pouvoir de définir
  • La MOE [3] : entité de développement du logiciel, peut être appelée aussi "R&D" ou "équipes de développement", qui a le pouvoir de construire
  • La QA [4] : entité chargée de vérifier le bon fonctionnement du produit, qui a le pouvoir de contrôler l'état du produit

Jeu de pouvoir

L'idée consiste maintenant à évaluer les équilibres entre les pouvoirs qu'il existe au sein d'une entreprise entre ces entités.

Il s'agit d'évaluer pour chacune d'elles, leurs effectifs, leurs rôles hiérarchiques, les degrés d'indépendance, les processus qui les font interagir, etc. On pourra alors avoir une idée des forces en présence afin d'évaluer s'il n'y a pas une carence ou un excès de tel ou tel pouvoir.

Exemples

  • Prenons le cas d'une MOA qui définirait uniquement des exigences métiers ou des exigences fonctionnelles. Elle conduirait la MOE à ne s'attacher à résoudre que des problématiques d'ordre fonctionnel et à construire un produit qui fonctionne peut-être mais mal car ayant des lacunes dans le domaine non-fonctionnel (comme la performance, l'utilisabilité, la facilité de déploiement, etc).
  • Un autre exemple : Prenons le cas d'une société qui aurait une MOE de 100 personnes et une QA de 5 personnes. La responsabilité de la QA étant sous celle de la MOE. On voit bien ici le déséquilibre entre le pouvoir de construction et le pouvoir de contrôle. Le risque ici est bien de livrer un produit qui est construit de façon non contrôlée et qui ne correspondra pas aux attentes en terme de fonctionnalités et de qualité.
  • Un troisième cas, qui de mon point de vue est sûrement le plus rare, la QA est constituée d'une équipe importante, ayant un fort degré d'indépendance par rapport à la MOA et la MOE. Son pouvoir de contrôle et de veto surdimensionné pourrait nuire au bon déroulement de la construction. La QA pourrait demander des exigences qualitatives difficiles à atteindre et qui ferait augmenter les coûts de développement.

Conclusion

Cette réflexion m'est venue suite à un audit réalisé dans une entreprise qui avait des problèmes de fiabilité sur ses logiciels. Je me suis aperçu que selon la définition des pouvoirs que j'ai énoncé ici, l'entité QA était réellement sous dimensionnée. Les personnes dédiées au Test et à la Qualité représentent moins de 10% de l'effectif et donc approximativement du budget, alors que le standard de l'industrie sont deux à trois fois supérieurs à cela depuis plusieurs années [5]. Il y avait donc clairement un déficit dans le contre-pouvoir du contrôle de la Qualité, expliquant en partie les problèmes de fiabilité rencontrés par cette entreprise.

J'espère que ce petit outil permettra à d'autres d'évaluer les lacunes et les forces en présence dans une entreprise ou une équipe de développement. C'est un exercice que j'ai trouvé intéressant à faire et qui m'a permis de mieux comprendre le contexte d'une entreprise.

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Sketchnote "Développement logiciel et Gouvernance"

Notes

[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9paration_des_pouvoirs#Montesquieu_:_reprise_de_la_philosophie_de_Locke
[2]MOA = Maîtrise d'ouvrage
[3]MOE = Maîtrise d'oeuvre
[4]QA = Quality Assurance ou Assurance Qualité
[5]Voir à ce sujet le "World Quality Report 2015-16" : en 2015, en moyenne 35% du budget IT est alloué à la Qualité et au Test : www.world-quality-report.com